le vent des forêts

Publié le par superheights

Comme elle l’avait plusieurs fois répété aux journalistes en reportage sur les lieux du “vent des forêts”, le confort était le dernier de ses soucis, elle avait même choisi de fixer sa tente prés du ruisseau, dans un coin humide, non loin d’un groupe de vaches, auprès desquelles elle serait curieuse d’apprendre pourquoi sur un terrain aussi vaste et verdoyant, elles avaient décidé de s’agglutiner sur la partie la plus boueuse, à proximité de la forêt. Tous les matins, elles seraient là, à l’observer. Du chant des oiseaux aussi, elle voulait en découdre, jalousant leur manière poétique de marquer leur territoire, alors qu’il lui fallait repousser bois morts et plantes coriaces hors de ses limites, pour marquer le sien. Lorsqu’il y a 2 mois, le projet d’installer son atelier sérigraphique en pleine nature et célébrer avec 9 artistes la nouvelle édition du “vent des forêts”, lui avait été proposé, elle avait pensé à l’opportunité qui s’offrait à elle, d’échapper à son univers quotidien; surpeuplé, déshumanisé et aussi verdâtre que l’air nauséabond qui circule dans “Soleil vert”. A une heure seulement en T.G.V de Paris, il fallait encore prendre un bus à travers champs et villages, puis marcher sur un long chemin chaotique jusqu’au point de rassemblement, matérialisé par l’oeuvre de Sébastien Rinkel; un dôme de tissus blanc tendu, diffusant une lumière intense venue du ciel, quelque part dans une forêt dense et inaccessible aux rayons de soleil. C’est au cœur de cette forêt, à une centaine de mètres de la clairière qu’elle décida de poser son atelier. Le même chemin qu’elle avait pris pour la première fois la veille, allait devenir un parcours sans fin, le lendemain, lorsqu’àprés un barbecue à “La renardière”, il fallut effectuer le trajet de nuit, sans lampe, les pieds hésitants et au ventre, l’angoisse de ne jamais retrouver sa tente. Les animaux cachés sur le bord du chemin s’agitaient puis se figeaient à son passage, soucieux de ne pas être vu. La forêt résonnait de petits bruits; grognements de sangliers, aboiement de chevreuil, pas fuyants de renards ou rats cendrés. Elle imaginait le regard des biches venues en famille l’observer pendant son sommeil. Venir importuner ce nouvel habitant dans sa tente vulnérable aurait été d’une telle simplicité... mais par bonheur , seuls les animaux semblaient s’en préoccuper. Lors de ses journées, les gens qu’elle rencontrait devinrent peu à peu les intrus de cette expérience solitaire. Certains artistes participants à l’évènement s’inquiétaient de ces heures passées sous la pluie, où elle ne verrait personne, ou bien de son équipement vestimentaire, tout à fait inapproprié. Elle savait que les propositions qui se présentaient à elle, étaient ses dernières chances de vivre quelques heures encore, comme l’être social qu’elle avait jusqu’alors, toujours été. Elle savoura le concert de Milkymee sous le dôme blanc, une après-midi ensoleillée, celui de Séraphina Steer accompagnée de sa harpe et son Korg dans une église d’un village voisin, et la projection de “zoo” de Fred Wiseman dans une grange remplie de bois. Elle apprendrait du réalisateur sa manière ininterrompue de filmer un quotidien dont l’histoire devait se créer au montage seulement, jamais avant. Elle se jeta aussi sur les gâteaux réalisés par les pâtissiers de 3 villages. L’idée conçue par Simon Bernheim mettait au défit les participants de traduire sous forme gourmande le mot “trust-crust”. La première des pâtisseries était une croûte pralinée posée sur une génoise et surmontée d’une mousse légère fouettée, aux mûres et cassis frais, puis recouverte d’une crème au beurre, un rocher à la noix de coco au sommet. La seconde, se présentait sur un demi macaron, couvert d’une fine crème accueillant des framboises fraîchement cueillies. Une brisure de nougatine posée dessus, faisait tout le croustillant. Et enfin, une tarte aux pommes géante dont la pâte feuilletée et le fond praliné ne demandaient qu’à être dévorés ! Elle fit son dernier repas à Nicey-ville, où artistes et villageois avaient rendez-vous. Les vaches qui broutaient sur le champ à côté n’appréciaient pas non plus la viande morte, qui grillait, sous leur regard médusé. Au fil des jours, la forêt devenait sa maison, choisissant un coin lumineux pour occuper ses matinées, ou un coin plus sombre pour travailler. En bordure de forêt , elle ne s’aventurait plus trop, préférant l’intérieur pour être sûre de ne jamais être aperçue. Malgré tout, c’est là qu’elle pouvait encore entendre, les voix ou les cris se propageants à des kilomètres et atteignants son domaine sous forme de chuchotements. Ce samedi, elle insista pour rester seule, se privant du concert pour électronique et bois de Davide Balula en l’église de Dompcevrin. Seule , devant son lecteur Mp3, elle observait les mouches qui volaient de manière statique, amoureuses des vibrations, du frissonnement des enceintes au son du “Only love can break your heart” de Neil Young. Parfois son regard se fixait sur les insectes, grâce auquel elle exerçait son sens des couleurs, à la façon d’un nuancier. Limace striée orange: 40% de vermillon, 55% de jaune citron, 3% d’or et 2% de noir. De même pour les jeunes pousses de chêne: Bleu de prusse : 20%, jaune: 80%. Les goûtes de rosée apportaient la brillance argentée à cette palette infinie. Avec le même calme, elle se posa sur le tronc d’un arbre couché, respira lentement et commença à exécuter méthodiquement, l’expérience qu’elle était maintenant prête à soumettre à sa perception. Totalement immobile, elle laissa dans son regard, les branches, les feuilles et tout ce qui l’entourait, se fondre dans un même brouillard vert, ocre et sépia, simplement éclairé de petites taches de lumières. Peu à peu, elle fit disparaître les contours de cet ensemble informe et son univers ressembla alors, à l’intérieur d’une photographie; sans odeur, ni profondeur, sans poids ni épaisseur. Dans ce paysage abstrait, elle vit encore se distinguer sur le haut de sa tête, une nuance marron qui suivait le mouvement de la brise, il lui suffit alors de régler son discernement au point zéro , et ce qui devait être auparavant ses cheveux devint aussi transparent que le vent. de cet ensemble flou et cotonneux, seules subsistaient encore quelques taches suspendues dans le vide, dont l’origine et le sens avaient, de son esprit, totalement disparu. Son cerveau, lui aussi était devenu inopérant. Grâce à ce pouvoir, elle avait enfin réussit à disparaître, non pas par la fuite, elle n’en avait jamais eu le courage, même lors de ses voyages les plus lointains, mais par mimétisme total avec les éléments. Et lorsqu’un promeneur réussissait à trouver son installation sylvestre, c’est dans un espace déserté qu’il semblait pénétrer. Maintenant , c’était clair, son quotidien baignerait dans l’illusion d’une liberté singulière, celle dont elle avait toujours rêvé, même si cette nouvelle vie allait devenir la somme de règles complexes dictées par sa propre tyrannie.
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